lundi, novembre 02, 2009

À defaut d'un arbre dans une belle foret...



Les oiseaux s'accommodent d'un pylône électrique. Un perchoir froid et stérile pour asseoir leurs plumes désespérées de ne pouvoir côtoyer de vertes feuilles amies.
Leur plumage est aussi sombre que le tapis de cubes immondes qui mange les collines alentour.

Un oiseau mélancolique observe le va-et-vient de la foule qui grouille tout en bas. L'œil du volatile déçu ne connaît plus que l'indécent clignotement des vitrines, et cela fait longtemps maintenant que ses pieds ne foulent plus qu'un bitume sale et ingrat.

Son pauvre bec est constamment recouvert d'une pellicule de poussières acides qui lui brouillent la vue. Il peut néanmoins assister au spectacle quotidien du flux incessant d'automobiles, qui, dans une reptation affligeante, s'octroie l'espace et pervertit l'air autrefois dévolu aux êtres de chair et de sang.

Les aïeuls de cette masse de volatiles connaissaient un autre sort, jamais ils n'en furent réduits à siéger sur un si vil perchoir. Leurs ailes se déployaient au-dessus d'une des plus belles villes du sud de l'Espagne, dans l’air froissé de chaleur transportant volutes d’encens et pollens, où retentissaient les appels à la prière et les rires d ‘enfants. Les colombes prenaient leur petit-déjeuner sur une terre chaude et granuleuse et buvaient l'eau des fontaines les plus majestueuses.
Elles allaient ensuite faire un somme sur les branches ombragées des grands châtaigniers, goûtant à la fraîcheur salvatrice de l’écrin de verdure sur lequel trône le grand palais.

Au diable les quartiers modernes! Le pigeon solitaire s'envole vers les hauteurs de l'Albaycin, là ou les monstres cracheurs de gaz ne peuvent se frayer chemin. Il se pose finalement hors de portée des chats qui déambulent par centaines dans ces rues oubliées, entre les épines d'un figuier de barbarie.

Si les becs étaient de plus expressifs appendices, on pourrait certainement voir un sourire se dessiner sur celui de cet oiseau. En face de lui se dresse l’Alhambra, fier ensemble monumental irrigué de milles sources domptées. Un harmonieux assemblage de patios constellés de mosaïques éternelles, ou les murs reçoivent depuis des siècles la caresse successive de l’ombre et de la lumière, qui se faufilent et s’entremêlent tels de douces bandes d’encre couchées sur un papyrus antique, calligraphiées au rythme des astres, jaloux qu’un édifice humain puisse égaler leur beauté.

Le pigeon soupire et dans un battement d’aile s’en retourne á son pylône électriqueç

À chacun son époque…

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